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    Elle était là, seule et immobile sur le quai de la gare. Sa jupe recouvrait ses chevilles et le haut de ses bottines. Le tissu lourd et épais semblait jurer avec la chaleur étouffante que la ville de Lyon dégageait en ce mois de juillet.Très simple, très droite, elle observait la gare qui l'entourait et qu'elle redécouvrait encore une fois. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait ici, à Lyon, mais elle s'était rarement attardée dans la gare à proprement parlé. Elle jurait un peu avec le décor avec sa jupe si longue et son tissu si lourd. Tout le monde était vêtu de façon traditionnel, le jean avait disparu des jambes de la foule face à la chaleur qui écrasait la ville. Les jupes et les shorts fleurissaient partout découvrant des genoux cagneux, des cuisses molles ou fermes et des mollets poilus ou non.

    Elle tournait la tête à droite et à gauche, cherchant du regard celui qui viendrait la sortir de là et ses bras charmants tenaient serrés contre elle la lourde valise qu'elle apportait. Mais il n'apparaissait pas et la foule l'oppressait, la poussait qui à droite, qui à gauche. Alors, s'armant de sa bravoure, elle empoignât sa malle et partie affronter la gare. Elle erra dans les sous-sols, sentant le grondement des trains qui passaient au dessus de sa tête. Et elle, tremblante, noyée dans la foule, se laissait emporter par le flot de la masse. Elle le cherchait toujours du regard, souhaitant le voir apparaître au prochain virage, au détour du couloir suivant...

    Elle allait sortir de la foule lorsque, instinctivement, elle leva la main pour lui faire signe. Elle l'avait aperçu de l'autre coté du couloir, à contre-sens. Il l'a reconnut immédiatement et, se frayant un chemin parmi la population, il la rejoignit. Ils ne prirent même pas le temps de se saluer, laissant la foule les emporter plus loin. C'était oppressant. Leur bras s'écrasaient l'un contre l'autre, leur épaule se rejoignaient et ils se mêlaient également à de parfaits inconnus. Échange de sourires gênés signifiant l'excuse avant qu'ils ne soient séparés. Elle le rattrapa et saisit son bras. Il l'a rassura d'un sourire, ils allaient sortir de là mais pour l'instant il y avait encore un couloir à traverser. Ils s'élancèrent, les yeux riants du bonheur de s'être retrouvé malgré la foule qui les écrasait.

    Ils débouchèrent alors devant un immense escalier, dans le hall de la gare. La lumière entrait drue dans ce lieu, écrasant de chaleur ce lieu dans ce plein été. En lui lâchant le bras, il lui indiqua la direction des escalators pour la soulager un peu de la masse qu'elle traînait avec elle. La foule s'espaçait dans cette grande salle et le bruit augmentait. D'immenses baies vitrées baignaient les lieux d'une lumière écrasante, et nombreuses étaient les personnes qui s'étaient arrêtés le temps de mettre leurs lunettes de soleil. Ils les esquivèrent adroitement et un sourire naissait sur les lèvres de la jeune femme qui se fondait peu à peu au rythme du cœur de la ville.

    Soudainement, ils étaient dehors. Les escalators les propulsèrent hors de la gare et, comme jetés de cette machine, ils titubaient face au soleil qui les éblouissait. Derrière eux, ils entendaient le grondement infernal encore en marche. Les trains allaient et venaient à un rythme d'enfer. Ils jetaient sur le quai bagages et voyageurs, en avalaient d'autres et repartaient en trombe. Toute la gare bourdonnait de cette activité inarrêtable et insatiable. Les trains allaient et venaient rythmés par les coups de sifflets des chefs de gare. On criait, on s'interpellait. Des mères embrassaient leurs enfants partant en vacances chez un parent, les hommes étreignaient une dernière fois leur amante, leur volaient un dernier baiser. Et ce n'était qu'effusion de bons sentiments, de promesses de s'écrire ci-tôt arrivés, de se revoir bien vite. Et tous les deux, étourdis, marchaient à pas lents, côte à côte sans se presser.

    C'est elle qui rompit le silence la première. Maladroite au début, elle cherchait ses mots. Les remerciements venaient naturellement. Il avait été bien gentil de venir la chercher par cette chaleur et son amitié pour lui en été renforcée sans qu'elle ne sache trop pourquoi. En son cœur, elle lui était reconnaissante de ne pas l'avoir laissée seule pour affronter cette foule d'anonyme pressé et tendu dans leur but d'atteindre au plus vite la sortie. Il prit de ses nouvelles : le voyage s'était-il bien passé ? N'était-ce pas trop dur de traverser ainsi toute la France en train. Elle répondit en riant qu'elle aimait beaucoup le train. Elle pouvait y dormir et y lire à son aise et que c'était bien tout ce qui comptait. Comment avançait son mémoire ? Avait-il pu accéder aux ouvrages qu'il était venu consulter à Lyon ? Alors il lui parla dans un langage parfois obscure pour les néophytes de ces études sur les électrons, des liens avec la physique quantique et de comment il espérait répondre à une question qui le taquinait depuis quelques jours grâce à la lecture d'ouvrages complexes. Mais il s'égaya soudainement : "Voyons ! Nous ne sommes pas là pour ça." Et lui saisissant le bras, il l'emmena sur les quais du Rhône.

    Le fleuve s'étalait majestueusement devant eux et le clapotis de l'eau leur offrait un cadre presque bucolique malgré le passage de l'autoroute se trouvant de l'autre coté du cours d'eau. Il lui proposa de s'assoir sous le premier banc ombragé qu'ils trouvèrent sur leur chemin. Un grand saule pleureur les surplombait et, ayant fait quelques pas hors du chemin, ils savaient qu'ils ne seraient pas dérangés par des personnes de mauvaises intentions. Effectivement, bien qu'ils y aient échappé jusque là, ils savaient l'un comme l'autre que leurs entretiens pouvaient leur valoir des remarques déplacées. Les cheveux de la jeune femme étaient aussi courts que ceux de son ami étaient longs. Son dos imposant, ses hanches larges la faisaient paraître plus masculine que bon nombre de ses amis. Mais avec lui, ils le savaient, c'était encore plus flagrant. Lui qui posait amicalement ses longs doigts sur sa valise pour l'aider à la glisser sous le banc, il avait les épaules minces et la taille fine des adolescents grandis trop vite. Et, alors qu'il s'asseyait à côté d'elle, elle remarqua pour la première fois sa bague. Elle eut une expression de surprise et de ravissement : "Vous vous êtes fiancés ?!" Et dans sa joie pour lui, elle battait des mains en le voyant rougir. Il voulut dévier la question, hésitait à l'admettre, pût finalement abdiqua. Oui, ils s'étaient fiancés, sa louve avait accepté et cela le remplissait de bonheur. Mais attention, elle devrait tenir sa langue : la nouvelle n'était pas encore officielle pour tout le monde. Elle promit : elle tâcherait de garder le secret le temps qu'ils l'annoncent à leurs proches.

    Niaisement, elle se réjouissait pour son ami et son nouveau bonheur. Elle se perdit dans ses pensées comme elle avait l'habitude de le faire lorsqu'une grande nouvelle arrivait. Il sourit et par de simples questions la fît revenir à lui. Il avait pris l'habitude de la voir partir ainsi dans de profondes réflexions. Il savait également qu'une trop grande immersion dans ses pensées entraînaient de brusques sautes d'humeurs qu'elle n'arrivait pas à contrôler. Ils discutaient ainsi à bâtons rompus de leurs projets, de l'avenir et les rires fusaient de temps à autres. Pourtant, quelque chose le tracassait et finalement, il se décida à aborder le sujet avec elle. Comment allait-elle réellement ? Il sentait sous la couverture de ces mots, une fragilité qui l’émouvait et il s'inquiétait pour elle. Elle chercha ses mots, sa voix s'étranglait. Brusquement, elle sentit qu'elle s’étouffait avec ces émotions. Elle voulut les canaliser et referma ses lèvres le temps de retrouver ces esprits. Mais il était trop tard. Pourquoi ? Comment ? Ils n'en savaient rien, ni l'un, ni l'autre, mais sous ce soleil écrasant, dans la chaleur d'un bel après-midi, l'angoisse l'assaillit. Ses émotions comprimaient sa gorge et des phrases incohérentes, presque sibyllines lui échappaient. Elle ne pouvait le regarder mais la panique grandissait sur son visage. Comment allait-elle faire pour se débarrasser de cette émotion qui l'envahissait, l’oppressait et menaçait de l'engloutir. Instinctivement, elle lui saisi le bras. Alors, naturellement, il l'accueillit contre lui. Ses bras minces mais protecteurs l'enveloppèrent et il lui murmura des semis-vérités pour qu'elle revienne à elle. Les larmes lui vinrent enfin et, dans une plainte déchirante, elle les sentit couler sur ces joues, inondant les bras de son ami. Et bêtement, se sentant impuissant mais indispensable, il lui répétait que cela irait. Le soleil reviendrait, le moral allait revenir, la peur allait partir. Ils le savaient, cela ne durerait pas. Mais pour l'instant, elle avait le droit de pleurer, personne ne le verrait et si elle voulait, il pouvait détourner les yeux le temps qu'elle aille mieux.

    Alors, à travers ses larmes, elle ne put s’empêcher de sourire tant l'idée lui paraissait idiote et saugrenue.


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