• Sur le parvis de l'hôpital, elle observait le ciel bien trop clair pour un pareil jour. Mais la météo se fichait bien des émotions qu'elle pouvait ressentir. Il en avait toujours été ainsi : le ciel n'a que faire des êtres qu'il abrite. Alors aujourd'hui, il la narguait de sa grande prairie bleue et de ses petits moutons qui la traversaient. La brise matinale fouettait ses joues et elle enfonça son nez dans son écharpe des larmes de froid et de tristesse perlant à ses paupières qu'elle avait fermées. Il vint à sa rencontre, vêtu d'une chemise et d'un jean comme tout le monde ici. Il l'a prit dans ses bras très doucement et elle se laissa aller à son étreinte laissant des larmes ruisseler sur ses joues.

    Il la réconforta et pendant quelques minutes il lui sembla que la situation pourrait être plus vivable.

    Il lui tendit un totebag, elle le prit et lui tendit le sien en retour. Il l'attrapa et ouvrit la conversation :

    "Il ne s'est pas réveillé cette nuit ?

    - Toujours pas. Le médecin cherche à nous rassurer, il nous dit que cela ne devrait pas tarder."

    Il l'embrassa, pressant son corps contre le sien, cherchant à lui transmettre courage et espoir. Il baisa son front et le nez dans ses cheveux, il reprit :

    "Tu restes ici encore un peu ?"

    Ce n'était pas une question, elle n'y répondit pas.

    "Je ne t'ai pas mis à manger car j'ai bien conscience que tu n'avaleras rien. Je t'ai repris du tabac, et j'ai glissé des pommes et du chocolat dans le sac. Si tu veux te changer, il y a de quoi dedans."

    Elle le regarda et eut un sourire reconnaissant.

    "Je file maintenant. Ils m'attendent au boulot. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu te souviens, hein ? Petit sms et je te rappelle dès que je peux.

    - Merci mon amour, murmura-t-elle en l'enlaçant à nouveau dans une fugace étreinte.

    - Pas de quoi." Il lui fit un clin d'oeil. "Sur ce, je file à ce soir !"

    Elle le regarda remonter dans sa voiture et sortir du parking. Elle avisa sa fin de cigarette maintenant éteinte entre ses doigts. Elle la jeta dans le premier cendrier venu et rentra dans le grand bâtiment blanc. Son mince et fragile sourire s'évanouit à l'instant où elle posait le pied sur le carrelage de l'accueil. La réceptionniste la salua gentiment. Trois jours qu'elle faisait le pied de grue ici, le personnel l'avait repéré. Même les agents d'entretien faisaient attention à ne pas la réveiller lorsque Morphée lui accordait une brève fin d'insomnie. Quelques heures de répit brutalement acquises sur les fauteuils des salles d'attente.

    Oh bien sûr, l'hôpital avait bien tenté de la dissuader de rester la nuit ici. Mais en découvrant la première nuit qu'elle avait dormi devant le bâtiment, ils avaient accepté de la laisser traîner dans les couloirs. Elle ne faisait aucun bruit, respectait les horaires de visite et s'éclipsait immédiatement lorsque du personnel soignant entrait dans la chambre. Alors, elle avait eu le droit de rester. Elle savait aussi que ce privilège était fragile. C'est le médecin qui lui avait accordé par égard pour son rôle dans cette histoire.

    Elle poussa la porte des sanitaires et des souvenirs l'assaillir. Le silence quand elle avait poussé la porte, épais, dense, inquiétant. Son corps assoupis, détendus reposant sur le divan et la boîte entre ses jambes. Le vertige, la panique, l'effroi. Elle rabattit la porte derrière elle et son claquement dans le chambranle l'a sorti brutalement de ses pensées. La cuvette blanche la regardait, béante. Elle vomit. Sans bruit, sans plainte simplement pour se débarrasser de la bile âcre qui tapissait le fond de sa gorge. Puis se changea.

    En sortant, elle passa devant le miroir et constata que ses cernes avaient encore augmenté. Elle pensait pourtant la chose impossible. Elle sortit et se dirigea vers son couloir : la première heure de visites était toujours pour elle. Les enfants n'arrivaient que plus tard avec leur maman. Elle s'éclipsait alors pour prendre une douche et un café au bar du coin. Elle n'avait pas à prendre plus de place qu'eux. Ils étaient son foyer. Ils ne la connaissaient pas et ne devait jamais la connaître. Devant la porte, elle marqua une pause. Elle se préparait car elle savait pertinemment ce qui allait suivre. Pourtant, le regard résolut, elle poussa la porte.

    Et elle le vit. Les souvenirs la frappèrent de plein fouet, happant sa conscience et son self contrôle. Mécaniquement, elle ferma la porte et s'abattit dans le fauteuil réservé aux visiteurs. Son esprit n'était plus là, englouti dans les souvenirs. Elle ressentait de nouveau cette panique, son cœur se briser en le voyant dormir ainsi paisiblement. Elle s'entendait encore, hystérique, hurler au téléphone ses réponses au question du pompier qui tentait de garder le contact. Elle se rappelait l'avoir mis en PLS, et avoir effectué des gestes de premiers secours sous les ordres de cette voix qui lui parlait le plus sereinement possible dans le téléphone. Et enfin, elle revoyait la porte s'ouvrir et ses hommes et femmes en rouge et noir prendre le relais tandis qu'enfin les larmes la submergeaient et qu'elle s'effondrait sans pouvoir s'arrêter.

    Elle serra les poings. Ses ongles s'enfoncèrent profondément dans sa peau. Elle revint à elle. Elle respira profondément l'air aseptisé, propre aux hôpitaux et déplaça son regard de la fenêtre au lit. Il dormait. Intubé, être mi-humain, mi-robot, pantin steampunk désarticulé et gisant. Elle se redressa et approcha le fauteuil du lit. Doucement, elle effleura son bras. Elle ne pouvait s’empêcher de craindre le premier contact, son esprit tremblait à l'idée de rencontrer une chair froide et roide. Pourtant, comme depuis trois jours, la peau était tiède et souple sous ses doigts. Elle sourit tristement et se mit à lui parler. Ses doigts se mirent en mouvement, allant et venant tout doucement sur ses mains et ses avants-bras. Elle caressait parfois son épaule mais n'osait aller plus loin. Après tout, il s'était à peine vu. Et si, pour elle, il était rapidement devenu l'une des personnes les plus importantes, elle n'attendait aucune réciprocité. Elle savait bien que les échanges numériques n'avaient que peu de valeur pour la plus part de ses contemporains.

    Alors, elle lui parlait. Elle ne savait pas si il l'entendait, mais elle lui racontait sa journée, ses peurs, ses doutes. Depuis trois jours, elle monologuait pendant trois fois une heure et demi, matin, midi et soir. Elle ne s'arrêtait que lorsqu'une autre personne entrait. Alors, elle laissait la place et disparaissait. Elle ne s'était jamais présenté à qui que ce soit bien qu'elle sache exactement qui était les autres. On ne lui avait rien demandé d'ailleurs.

    Elle consulta son téléphone : plus que quelques minutes avant les prochains visiteurs. Elle se leva et se prépara à prendre congé. Lorsqu'elle constata que quelque chose avait changé. Ses minces lèvres semblaient plus rose, ses doigts tremblaient. Il se réveillait. Choquée, la jeune femme se précipita sur l'alarme et enfonça le bouton rouge. Des pas se firent entendre, quelqu'un venait l'aider. Elle allait devoir partir. Les yeux mi-clos, il tendit la main vers elle. Elle hésita. Savait-il vraiment ce qu'il faisait ? L'avait-il reconnu ? Il lui prit la main et elle la pressa doucement entre ses doigts. Il l'a regarda, hagard, épuisé par cet étrange sommeil. 

    La porte s'ouvrit béante et le médecin et l'infirmière entrèrent. Elle extirpa doucement mais fermement sa main et sortit après un dernier regard à son intention. Elle referma la porte et vit les enfants accourir. Elle croisa le regard de leur mère et pour la première fois eu un regard rassurant à son égard. L'homme qui l'accompagnait, avec ses cheveux poivre-sel , devait être son père. Elle se recula pour les laisser passer. Les enfants et leur mère purent entrer après un certain temps. Elle n'était pas restée. Devant l'hôpital, elle fumait. Elle avait envoyé un sms rassurant à ses proches et son amoureux mais refusait de répondre au coup de téléphone. Elle avait besoin de temps. Elle allait repartir.

    Elle souffla la fumée et fit silencieusement ses adieux à l'hôpital. La veille était finie, il n'avait plus besoin d'elle et elle ne souhaitait pas qu'il se sente redevable. Ses pensées se bousculaient et elle tentait de faire taire cette tempête qui s'était réveillée sous son crâne. Alors qu'elle se perdait dans ses pensées, l'homme aux cheveux poivre et sel vint à sa rencontre. Elle le salua d'un petit sourire. Il se présenta :

    "Je m'appelle Jean. Je suis son père. Enchanté."

    Il lui tendit la main attendant naturellement qu'elle en fasse de même. Elle hésita puis changea sa cigarette de main et serra la poigne de l'homme.

    "Enchantée de même. Je suis Lisa, une amie de Marc.

    - C'est vous qui avait appelé les pompiers, n'est-ce pas ?

    - Oh ! Euh... Oui. Oui c'est moi." Elle tira sur sa cigarette. Elle n'avait pas envie d'être remerciée, elle ne voulait pas qu'on considère que cet acte était héroïque. Cela n'avait rien d'héroïque de s'effondrer en pleurs dans les bras de quelqu'un. Cela n'avait rien de brave de se transformer en hystérique lorsque l'on découvrait une personne que l'on aimait étendu sur le canapé. L'homme reprit :

    "Je crois que les enfants devaient sortir dans dix minutes. Accepteriez-vous de me ramener vers la chambre ?

    - Oui bien sûr." Il s'était mis en marche et docilement, elle lui avait tenu compagnie. Il s'était remis à parler.

    "Je ne pensais pas qu'il en viendrait là. Savez-vous ce qui a pu provoquer son geste ?" Il coula un regard sur elle. "Vous êtes jeune, comment l'avez-vous rencontré ? L'hôpital m'a indiqué que vous étiez resté à son chevet tout ce temps. Pourquoi donc ? Quel est votre rôle dans cette histoire ?"

    Elle ne répondait pas. Elle marchait sans rien dire, très droite. Ses mains tremblaient et elle n'osait lever les yeux vers lui. Ils arrivèrent enfin devant la porte de la chambre. Cette dernière s'ouvrit laissant passer les enfants et leur mère. Ils étaient radieux. L'infirmière qui les raccompagnait salua le père et lui indiqua qu'il pouvait entrer. Elle était restée en retrait. Elle ne se sentait pas légitime à entrer maintenant ne sachant ce qui se passerait si elle le faisait. Pourtant Jean se tourna vers elle et l'invita à pénétrer en même temps qu'elle dans la chambre.

    Il passa devant, l'infirmière sortit, claquant la porte derrière elle. Le père s'était approché du lit et la jeune femme l'entendait parler avec Marc. Elle ne bougeait pas, figée dans le fond de la chambre. Marc avait été adossé dans de moelleux oreillers et il parlait doucement avec son père. Elle aurait pu saisir ce qui se disait mais elle se refusait à écouter quelque chose qui ne la concernait pas. Elle contemplait simplement cet homme qui était devenu si important à ses yeux. Elle repensa à son amoureux et comment il l'avait taquiné la première fois qu'elle lui avait parlé de Marc : "ça y est ! Tu expérimentes le polyamour Lisa !" Et ils avaient bu des bières en cet honneur. Le souvenir était doux.

    Elle revint à elle, le père se dirigeait vers elle. Elle se redressa ne sachant comment se comporter. Il la remercia simplement et l'invita à prendre sa place. Elle était tétanisée. Et c'est gauchement qu'elle s'approcha du lit où Marc était allongé. Il la regardait avec une douceur infinie et elle accrocha ses yeux à son regard. Elle lui sourit et lui demanda :

    "Comment tu vas ?

    -Mieux. Et c'est grâce à toi."

    Elle devint muette comme une carpe, tétanisée à nouveau. Il prit sa main et la ramena près de lui.

    "Merci pour tout ce que tu as fait. Et pardon de t'avoir fait vivre ça."

    Elle se récria, voulut s'éloigner, mais il garda sa main prisonnière et elle ne trouva pas la volonté de lui retirer. Elle s'assit au bord du lit.

    "Tu dois m'en vouloir."

    Elle nia. C'était faux. Elle ne pouvait lui reprocher quoi que ce soit. Combien de fois s'était-elle, elle-même, retrouvée à sa place ? Il baissa la voix et murmura quelque chose. Pour l'entendre, elle dût s'approcher et presque coller son oreille contre ses lèvres.

    Que lui dit-il ? Personne d'autre qu'eux ne l'entendit. Mais lorsqu'elle le regarda à nouveau, elle pleurait. Alors, il se redressa, passa ses mains autour de son visage et l'embrassa. Les larmes se mêlaient et dans leur dos la porte claqua. Elle songea à cette possible erreur et choisit d'oublier.

     


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  • Elle poussa la porte de sa chambre et, comme tous les soirs, s'abattit devant son ordinateur portable. D'une main, elle posa son sac à terre alors que l'autre soulevait déjà l'écran. Elle ne perdait jamais de temps, il ne fallait pas se séparer trop longtemps des autres. Elle aurait pu se rendre compte de sa solitude. Sa veste glissa le long de son épaule gauche absorbant la main dans la manche, son index droit toucha le bouton on. Le ventilateur se mit en marche à l'instant où elle se retournait pour suspendre le tissu noir à un cintre.

    Elle s'assit l'écran à hauteur de son regard affichait un charmant papillon. Elle vit le logiciel se lançait automatiquement et lorsque la boite de conversation s'afficha elle tapa rapidement : "Enfin chez moi !" Elle ouvrit la fenêtre, attendit les réponses : jamais assez rapides, jamais assez nombreuses. Mais ce soir, cela faisait plus mal que d'habitude sans qu'elle ne sache pourquoi. Elle mit son casque, ajusta le micro et se lança sur le chan vocal. Accroupie sur sa chaise, elle attendit une accalmie pour se lancer à son tour dans le jeu du dialogue. Elle souriait. Elle écoutait et était écouté. Cela lui suffisait... Presque.

    Elle changea de channel, rejoignit un ami. Et sans qu'elle comprit pourquoi, la question dérapa : "Tu ne veux pas de réponse à cette question. Tu ne veux pas parce que tu ne comprendras pas la réponse à la question. Tu n'es pas prêt à l'entendre. Le concept de poser une question est d'être prêt à en entendre les réponses, tous types de réponses. Mais si tu la veux vraiment ta réponse : c'est mal. Je vais mal. Je vais mal parce que je suis seule, juste tellement seule. Et tu sais ce que c'est la solitude ?

    - Je pense avoir une vague idée..." Tenta-t-il, mais elle ne l'écoutait déjà plus.

    "C'est quand toutes les personnes que tu côtoies au quotidien se fiche de savoir qu'elle est la vraie réponse à la question "ça va ?". C'est quand tes interactions ne se font plus que par des écrans. C'est quand personne ne te touche, quand personne ne t'écoute, quand personne ne te parle. Et le pire, c'est que tu sais que tu ne peux pas leur en vouloir. Ils sont en vacances et comme tu le dis si bien, en vacances on délaye, on fait autre chose. Au final, on est un peu plus égoïste et c'est bien normal.

    - Arrête, s'il te plaît...

    - Mais je ne vous en veux pas. Je n'en veux à personne mais j'ai besoin de le dire. J'ai besoin de dire que quand je me lève le matin, il n'y a personne à mes côtés. Quand je me couche le soir, personne ne me dit "bonne nuit". Quand je veux parler avec quelqu'un, il n'y a personne en face. Je suis censée avoir un colocataire, des amis, des potes, des connaissances et je me sens juste terriblement seule.

    - Arrête !

    - Non !" Elle criait à présent, debout face à son écran. Sa chaise était renversée au sol. Ses poumons se soulevaient bien trop rapidement et sa poitrine n'était que douleur. "Non, je n'arrête pas. J'ai mal, putain ! Et personne ne s'en rends compte !"

    Elle balaya son clavier de la main créant une dissonance et coupant brutalement la conversation. Des larmes perlèrent à ses paupières et elle les laissa couler sans les retenir. Cela faisait des jours ou des semaines qu'elle se retenait et ce soir quelque chose en elle venait d'exploser. Elle n'était pas sûre de retourner sur le serveur demain, ni un autre jour d'ailleurs.


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  • Elle était là, seule et immobile sur le quai de la gare. Sa jupe recouvrait ses chevilles et le haut de ses bottines. Le tissu lourd et épais semblait jurer avec la chaleur étouffante que la ville de Lyon dégageait en ce mois de juillet.Très simple, très droite, elle observait la gare qui l'entourait et qu'elle redécouvrait encore une fois. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait ici, à Lyon, mais elle s'était rarement attardée dans la gare à proprement parlé. Elle jurait un peu avec le décor avec sa jupe si longue et son tissu si lourd. Tout le monde était vêtu de façon traditionnel, le jean avait disparu des jambes de la foule face à la chaleur qui écrasait la ville. Les jupes et les shorts fleurissaient partout découvrant des genoux cagneux, des cuisses molles ou fermes et des mollets poilus ou non.

    Elle tournait la tête à droite et à gauche, cherchant du regard celui qui viendrait la sortir de là et ses bras charmants tenaient serrés contre elle la lourde valise qu'elle apportait. Mais il n'apparaissait pas et la foule l'oppressait, la poussait qui à droite, qui à gauche. Alors, s'armant de sa bravoure, elle empoignât sa malle et partie affronter la gare. Elle erra dans les sous-sols, sentant le grondement des trains qui passaient au dessus de sa tête. Et elle, tremblante, noyée dans la foule, se laissait emporter par le flot de la masse. Elle le cherchait toujours du regard, souhaitant le voir apparaître au prochain virage, au détour du couloir suivant...

    Elle allait sortir de la foule lorsque, instinctivement, elle leva la main pour lui faire signe. Elle l'avait aperçu de l'autre coté du couloir, à contre-sens. Il l'a reconnut immédiatement et, se frayant un chemin parmi la population, il la rejoignit. Ils ne prirent même pas le temps de se saluer, laissant la foule les emporter plus loin. C'était oppressant. Leur bras s'écrasaient l'un contre l'autre, leur épaule se rejoignaient et ils se mêlaient également à de parfaits inconnus. Échange de sourires gênés signifiant l'excuse avant qu'ils ne soient séparés. Elle le rattrapa et saisit son bras. Il l'a rassura d'un sourire, ils allaient sortir de là mais pour l'instant il y avait encore un couloir à traverser. Ils s'élancèrent, les yeux riants du bonheur de s'être retrouvé malgré la foule qui les écrasait.

    Ils débouchèrent alors devant un immense escalier, dans le hall de la gare. La lumière entrait drue dans ce lieu, écrasant de chaleur ce lieu dans ce plein été. En lui lâchant le bras, il lui indiqua la direction des escalators pour la soulager un peu de la masse qu'elle traînait avec elle. La foule s'espaçait dans cette grande salle et le bruit augmentait. D'immenses baies vitrées baignaient les lieux d'une lumière écrasante, et nombreuses étaient les personnes qui s'étaient arrêtés le temps de mettre leurs lunettes de soleil. Ils les esquivèrent adroitement et un sourire naissait sur les lèvres de la jeune femme qui se fondait peu à peu au rythme du cœur de la ville.

    Soudainement, ils étaient dehors. Les escalators les propulsèrent hors de la gare et, comme jetés de cette machine, ils titubaient face au soleil qui les éblouissait. Derrière eux, ils entendaient le grondement infernal encore en marche. Les trains allaient et venaient à un rythme d'enfer. Ils jetaient sur le quai bagages et voyageurs, en avalaient d'autres et repartaient en trombe. Toute la gare bourdonnait de cette activité inarrêtable et insatiable. Les trains allaient et venaient rythmés par les coups de sifflets des chefs de gare. On criait, on s'interpellait. Des mères embrassaient leurs enfants partant en vacances chez un parent, les hommes étreignaient une dernière fois leur amante, leur volaient un dernier baiser. Et ce n'était qu'effusion de bons sentiments, de promesses de s'écrire ci-tôt arrivés, de se revoir bien vite. Et tous les deux, étourdis, marchaient à pas lents, côte à côte sans se presser.

    C'est elle qui rompit le silence la première. Maladroite au début, elle cherchait ses mots. Les remerciements venaient naturellement. Il avait été bien gentil de venir la chercher par cette chaleur et son amitié pour lui en été renforcée sans qu'elle ne sache trop pourquoi. En son cœur, elle lui était reconnaissante de ne pas l'avoir laissée seule pour affronter cette foule d'anonyme pressé et tendu dans leur but d'atteindre au plus vite la sortie. Il prit de ses nouvelles : le voyage s'était-il bien passé ? N'était-ce pas trop dur de traverser ainsi toute la France en train. Elle répondit en riant qu'elle aimait beaucoup le train. Elle pouvait y dormir et y lire à son aise et que c'était bien tout ce qui comptait. Comment avançait son mémoire ? Avait-il pu accéder aux ouvrages qu'il était venu consulter à Lyon ? Alors il lui parla dans un langage parfois obscure pour les néophytes de ces études sur les électrons, des liens avec la physique quantique et de comment il espérait répondre à une question qui le taquinait depuis quelques jours grâce à la lecture d'ouvrages complexes. Mais il s'égaya soudainement : "Voyons ! Nous ne sommes pas là pour ça." Et lui saisissant le bras, il l'emmena sur les quais du Rhône.

    Le fleuve s'étalait majestueusement devant eux et le clapotis de l'eau leur offrait un cadre presque bucolique malgré le passage de l'autoroute se trouvant de l'autre coté du cours d'eau. Il lui proposa de s'assoir sous le premier banc ombragé qu'ils trouvèrent sur leur chemin. Un grand saule pleureur les surplombait et, ayant fait quelques pas hors du chemin, ils savaient qu'ils ne seraient pas dérangés par des personnes de mauvaises intentions. Effectivement, bien qu'ils y aient échappé jusque là, ils savaient l'un comme l'autre que leurs entretiens pouvaient leur valoir des remarques déplacées. Les cheveux de la jeune femme étaient aussi courts que ceux de son ami étaient longs. Son dos imposant, ses hanches larges la faisaient paraître plus masculine que bon nombre de ses amis. Mais avec lui, ils le savaient, c'était encore plus flagrant. Lui qui posait amicalement ses longs doigts sur sa valise pour l'aider à la glisser sous le banc, il avait les épaules minces et la taille fine des adolescents grandis trop vite. Et, alors qu'il s'asseyait à côté d'elle, elle remarqua pour la première fois sa bague. Elle eut une expression de surprise et de ravissement : "Vous vous êtes fiancés ?!" Et dans sa joie pour lui, elle battait des mains en le voyant rougir. Il voulut dévier la question, hésitait à l'admettre, pût finalement abdiqua. Oui, ils s'étaient fiancés, sa louve avait accepté et cela le remplissait de bonheur. Mais attention, elle devrait tenir sa langue : la nouvelle n'était pas encore officielle pour tout le monde. Elle promit : elle tâcherait de garder le secret le temps qu'ils l'annoncent à leurs proches.

    Niaisement, elle se réjouissait pour son ami et son nouveau bonheur. Elle se perdit dans ses pensées comme elle avait l'habitude de le faire lorsqu'une grande nouvelle arrivait. Il sourit et par de simples questions la fît revenir à lui. Il avait pris l'habitude de la voir partir ainsi dans de profondes réflexions. Il savait également qu'une trop grande immersion dans ses pensées entraînaient de brusques sautes d'humeurs qu'elle n'arrivait pas à contrôler. Ils discutaient ainsi à bâtons rompus de leurs projets, de l'avenir et les rires fusaient de temps à autres. Pourtant, quelque chose le tracassait et finalement, il se décida à aborder le sujet avec elle. Comment allait-elle réellement ? Il sentait sous la couverture de ces mots, une fragilité qui l’émouvait et il s'inquiétait pour elle. Elle chercha ses mots, sa voix s'étranglait. Brusquement, elle sentit qu'elle s’étouffait avec ces émotions. Elle voulut les canaliser et referma ses lèvres le temps de retrouver ces esprits. Mais il était trop tard. Pourquoi ? Comment ? Ils n'en savaient rien, ni l'un, ni l'autre, mais sous ce soleil écrasant, dans la chaleur d'un bel après-midi, l'angoisse l'assaillit. Ses émotions comprimaient sa gorge et des phrases incohérentes, presque sibyllines lui échappaient. Elle ne pouvait le regarder mais la panique grandissait sur son visage. Comment allait-elle faire pour se débarrasser de cette émotion qui l'envahissait, l’oppressait et menaçait de l'engloutir. Instinctivement, elle lui saisi le bras. Alors, naturellement, il l'accueillit contre lui. Ses bras minces mais protecteurs l'enveloppèrent et il lui murmura des semis-vérités pour qu'elle revienne à elle. Les larmes lui vinrent enfin et, dans une plainte déchirante, elle les sentit couler sur ces joues, inondant les bras de son ami. Et bêtement, se sentant impuissant mais indispensable, il lui répétait que cela irait. Le soleil reviendrait, le moral allait revenir, la peur allait partir. Ils le savaient, cela ne durerait pas. Mais pour l'instant, elle avait le droit de pleurer, personne ne le verrait et si elle voulait, il pouvait détourner les yeux le temps qu'elle aille mieux.

    Alors, à travers ses larmes, elle ne put s’empêcher de sourire tant l'idée lui paraissait idiote et saugrenue.


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    Seven - Day 2


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